Avant mon diagnostic de SP en 2012, mon corps faisait à peu près tout ce que je lui demandais. Il m’avait emmenée par delà le monde, avait survécu à un grave accident de voiture, donné naissance à un bébé étonnamment gros. En général, il se comportait bien. Oh bien sûr je n’ai jamais pris part à l'un de ces programmes d'entraînement militaire — je connaissais mes limites —, mais je n'en avais guère besoin. J'avais l'habitude de dire que je n'étais jamais malade.
Cette fanfaronnade devait revenir me hanter plus tard.
En bref, avant que les premiers symptômes de SP n'apparaissent, mon image corporelle était convenable. Bien sûr, je me disais que ce ne serait pas plus mal que de perdre le surplus de poids laissé par le bébé (11 ans déjà), mais j'avais constamment la bougeotte et n'y accordais pas trop d'attention. Solide et de taille élancée, j'étais satisfaite de mon apparence.
Un jour, j'ai soudainement commencé à me sentir fatiguée. Pas juste fatiguée, mais exténuée sans aucune raison valable. J'avais 37 ans et, manière de plaisanter, j'attribuais ma fatigue au fait d'être plus proche de 40 ans que de 30, mais son intensité me tracassait quelque peu. Puis survint une énorme, une gigantesque rechute. Mon corps se recroquevilla et je ne fus plus capable ni de marcher, ni de parler correctement.
Avant d’avoir pu reprendre mon souffle, je me retrouvai à l’hôpital, où l’on m’avait délicatement poussée, et où je fus scrutée de toutes parts. Ma tête fut placée dans un scanner et ma colonne, transpercée par l’aiguille la plus grosse que j’aie jamais vue de ma vie. Je fus interrogée sur chacun des aspects de mon corps.
Lorsque la réponse arriva enfin — j'avais la SP —, j'étais devenue une épave, physiquement et mentalement. Quoi? Une maladie auto-immune? Une maladie dans laquelle mon corps bien-aimé lutte en fait contre lui-même? C'était une idée terrifiante. Pourquoi mon corps faisait-il cela? Se pouvait-il qu’il ne m'aimât vraiment pas du tout?
Mon image corporelle dégringola à pic et, telle une spirale, un tourbillon de peur et de crainte m'aspira en son centre. Mes mains ne répondaient plus, ma concentration se morcelait et je n'arrivais plus à rassembler mes idées. Je trébuchais partout et mon équilibre avait pratiquement disparu. Décider quoi porter chaque jour s'avérait une tâche herculéenne, si bien que je commençai à me vêtir de tout ce qui était facile à mettre et qui comportait le moins de boutons ou de fermetures éclair® possible. Il me fallu dire adieu aux talons hauts et commencer à me trimballer de-ci de-là en souliers plats.
Et comme si cela n'était pas assez démoralisant, le médicament que je prenais contre la douleur neuropathique me faisait prendre du poids à toute vitesse. Si rapidement en fait, que c'est à peine si j'arrivais à suivre. Quelques années plus tard, je fis une réaction semblable aux antithyroïdiens. Ajoutez à cela toute la malbouffe que j'engloutissais pour me consoler et j'étais devenue méconnaissable. Je commençai à fuir les miroirs et mes amis. La douleur et la peur faisaient que je sortais le moins possible.
Ma garde-robe se fit peu à peu trop petite et je dis silencieusement adieu à mes vêtements préférés, à mes splendides chaussures. Marchant naguère à grandes enjambées, pleine de confiance, je commençai à détailler la chaussée à la recherche d'obstacles, tête basse de peur de tomber. Mon monde se rapetissait. Je détestais ce que mon corps m'avait infligé. N'ayant plus le sentiment que mon apparence extérieure reflétait mon moi intérieur, lui et moi commençâmes à faire deux. Mon corps était devenu un étranger hideux, manifestation grotesque de tous les ravages que la SP produisait.
Je m’entêtais à porter mes vieux vêtements, me faisant violence pour me glisser à l'intérieur, frustrée et les larmes aux yeux, remplie de mépris envers moi-même. Je rentrais le ventre autant que je le pouvais. Je commençai même à m'excuser auprès des autres d'être grosse. Je me disais que si j'écartais l'évidence d'emblée (ha! ha! ha!), ce serait moins gênant pour tout le monde.
Je devins la p'tite grosse enjouée.
Au bout d'un certain temps, les choses ont commencé à changer tout doucement. J'ai peu à peu fait le tri dans mon alimentation. Je n'ai pas maigri pour autant, mais je me sentais plus forte face à mon surpoids. Je me suis débarrassé de la plupart de mes vieux vêtements et j'en ai acheté de nouveaux. J'ai investi dans une trousse de maquillage, de jolis souliers plats, des accessoires chics (les meilleurs amis de la femme forte!). J'ai commencé à parler de ma maladie, à la faire entendre, et je suis devenue une farouche militante pour les droits des personnes vivant avec un handicap.
Les personnes à qui je parlais n'avaient cure de mon poids; elles voulaient entendre ce que j'avais à dire.
Aujourd'hui, je reconnais que je ne retrouverai probablement jamais ma silhouette d'avant la SP, mais j'ai appris à aimer mon corps à nouveau. Malgré tout ce que la SP lui a fait subir, je suis toujours là, je travaille et j'étudie encore. Certains jours, je suis surprise de voir à quel point mon corps est fermement déterminé à ce que je passe à travers cette épreuve. Essentiellement, nous avons fait la paix lui et moi.
Chaque fois qu'il me fait franchir la porte et me conduit au travail, je le remercie. Je suis reconnaissante chaque fois que j'accueille mon fils avec une grosse étreinte et un réfrigérateur plein, à son retour de l'université.
Mon corps est sensationnel. Un peu comme moi. Il m'inspirera toujours le plus grand des respects et moi, je surmonterai cette épreuve.